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Supplique à Tom

 

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Et Jean de Damas dit ensuite : « L’ange est là où il agit ».

THOMAS D’AQUIN, Des substances séparées ou De la nature des anges.

 

 

 

 

 

 

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Va mon Tom mon tambour.

 

Va mon Tom allez reviens.

Avec mon tambour le va revient.

2

 

Va mon Tom mon tambour.

Avec mon Tom

on fait un groupe de rock on s’appelle Bibendum.

Je bats le tambour et Tom fait le choeur.

On joue à rideaux fermés.

 

Tom tu me vois dans la nuit.

Toi tu peux me voir dans la nuit parce que ton œil a la nuit dans la peau de l’oeil.

 

Toi et moi on se distingue de rien ni personne.

On fait un pli, on fait un contour.

 

Va mon tambour allez reviens.

Je m’appuie et le va revient

sans effort.

Tu es mon juste-au-corps.

3

 

Tom tu étais avec moi dans la première nuit.

 

(C'était la plus longue. La première nuit ne compte pas. On l’a ôtée aux années.)

 

Tom mon tambour, dedans tu étais autour.

Dehors tu es de trop.

 

On m'a ôté mon Tom, on m’a ôté mon tambour.

 

En fanfare on me donne un nom, et toi on te donne rien en retour.

On te jette au four.

4

Quand j’ai vu au dehors, les têtes en personnes, j’ai fait le cri.

Ils ont aimé, ils ont crié aussi.

Un air de famille en fanfare, c’était rapide et bruyant, j’ai pas demandé où tu étais.

 

Aussitôt seul,

on m’a confié aux bras berçants, aux langues sonnantes.

 

Mal isolé,

on m’a livré aux attaches, on m’a mis dans le besoin.

 

On m’a mis sous une couverture en laine non tissée, mais c’était plus toi.

J’étais pas avec la couverture,

j’étais dessous

la couverture.

 

Si tu perds un ami, on te donne une couverture.

Elle est à toi. C’est tout.

Elle te voit pas.

5

 

 

Tom, qu’ont-ils fait de toi ?

Et si je demandais ?

 

Et si je demandais où tu reposes ?

Et si je demandais le droit de fleurir ta tombe, le jour de notre anniversaire ?

 

Et si j’avais voulu t’enterrer dans le jardin, sous une pousse d’arbre fruitier ? Ou te verser dans la terre du rosier ?

Et si j’avais voulu te jeter à la mer, en criant un nom d’emprunt ?

Ou te brûler avec du riz et du blé malté ?

Ou t’accrocher aux branches de l’arbre, vêtu d’homme ?

Tu aurais pu attirer les bienveillances, chasser les oiseaux de malheur.

Ou suspendu dans l’âtre à sécher, broyé en poudre à soigner. Tu aurais fait de bonnes compresses.

Gâteau plat. Petit pain rond.

Galette. Tomme.

 

Ou bien la famille t’aurait mangé chaud. Rouleau de viande fourrée. Père te le devait. Mère un morceau.

Moi aussi, pour la vie.

 

Tom, où que tu sois, tu dois pas tomber dans les crocs des animaux.

Tu dois pas tomber dans les mains des inconnus.

6

Tom, tu m’as donné le contour que j’ai encore,

une fois pour toutes,

mais tout coupé là

et là,         tu vois ?

 

Tom parfois j’entends mon nom en personne appelé dans ma tête avec une voix familière.

C’est toi là-bas ?

 

Ici je bats encore comme on faisait avant.

Maintenant ça va, mais tu vois,

ça revient moins bien.

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Tom, c’est toi qui a laissé les yeux derrière ?

Les yeux satellites, c’est toi ?

 

Depuis le premier jour ils sont là.

Chaque fois dans les c'est-quoi-ça ?

 

8

 

Tom, je t’ai pas remercié.

Merci pour la sauvegarde, merci pour les yeux.

 

Mais Tom s’il te plait,

tu pourrais pas un jour appeler quelqu’un ?

 

Adieu mon Tom va mon tambour

mais s’il te plaît,

 

fais venir quelqu’un.

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Trois notes basses ruminent un monde.

Deux secondes de silence, on ferme une fenêtre, quelque chose chiffon puis le vacarme à nouveau. On a toujours été, partout et toujours, traité avec gentillesse.

Et puis un jour, peur de rien, d'être renversé par un vélo d'enfant.

 

L’impression que quelqu’un dans notre dos imite tous nos gestes.

L’orange est-elle orange quand on éteint la lumière ?

Le clignotant fait-il un son brillant ?

Que voit-on quand on regarde à travers son prénom ?

 

On se touche le visage longtemps, jusqu’à sentir comment la peau pourrait s’enlever. L’odeur infime que libèrent les logements des pépins quand on mord le trognon de la pomme. Chercher quelque chose sur quoi on puisse poser les mains et dire : c'est ça. On emboîte le pas à n’importe qui afin de vérifier que l’existence (et tout ce qui a pu en être dit auparavant) se justifie d’une personne supplémentaire, au moins.

 

On envoie le corps aux courses tandis qu’on reste à la maison.

 

La radio, au moment où on entre : « ... un incident sans gravité ». La pression tranquillisante du portefeuille dans la poche intérieure. La pièce de monnaie devenue chaude entre les doigts. On plante les yeux dans le dos d’un humain. On pourrait y dormir. Posée à plat sur la table, on dirait que la main va rester là quand l'humain s’en ira. Si c'est une femme, elle s’ébroue, se retourne : « c’est toi ? ».

 

Ce n’était qu’un souvenir, qu’on aura pris pour une émotion.

 

Dehors, partout ailleurs, d’autres personnes persistent, et perpétuent leurs gestes, incompréhensibles. Tout le long de la rue, crachats réguliers au sol. Un soulier d’enfant au sol, un seul.

 

Coupant à travers bois, personne n’est jamais passé par là.

 

Va ce qui manque à rien, avec quelque chose d’autre qui soit semblable.

Vient quelqu’un.

 

 

 

 

 

 

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